jeudi 8 juillet, 23 h 30, dans les rues de Paris. L'atmosphère est lourde, sans air. La peau collante. Et sous nos semelles trop fines, le bitume semble jouer les radiateurs. Entre deux conseils de prévention pour les grosses chaleurs, un panneau d'information de la mairie de Paris révèle la dure réalité : il fait 30 °C. Deux heures plus tard, il fait encore 25 °C. Il fait nuit noire et pourtant la température s'est à peine rafraîchie.
Une étude publiée fin mai dans la revue Geophysical Research Letters par des chercheurs du Met Office, le service de météorologie britannique, apporte quelques éléments de compréhension du phénomène, qui fin juin était ainsi évoqué dans les colonnes du New York Times : "Si vous ne supportez pas la chaleur, de nouvelles recherches vous suggèrent de déménager loin des villes."
On savait déjà que les villes retenaient davantage la chaleur qu'un environnement rural. Mais les chercheurs, qui proposent une modélisation des effets du changement climatique sur les villes, démontrent qu'elles sont aussi plus sensibles à ces changements et, que dans les prochaines années, "elles connaîtront une augmentation de la température moyenne plus importante, avec des hausses de dioxyde de carbone dans l'atmosphère. Et l'effet de refroidissement de la nuit deviendra plus un souvenir qu'une réalité", prédit Darius Dixon, du site ClimateWire, dans cette contribution au New York Times.
LES ZONES URBAINES VONT SE RÉCHAUFFER PLUS VITE
Béton, asphalte, acier, immeubles freinant le vent… l'environnement urbain laisse peu de place à la végétation. Chaque nouvelle construction renforce ce que les scientifiques nomment "effet îlot de chaleur urbain" ou "effet îlot thermique urbain", c'est-à-dire le cocktail chaleur, pollution et densité de population.
Ainsi, dans les zones urbaines, "au lieu d'être consommée par les plantes ou transportée par l'humidité du sol", résume le New York Times, "une grande partie de la chaleur du jour est absorbée par les surfaces dures et imperméables qui n'ont pas d'autre moyen pour libérer l'énergie thermique emmagasinée dans la journée que de la restituer la nuit". D'où cette drôle de sensation de bitume-radiateur en pleine nuit.
Or, Mark McCarthy, l'un des auteurs de l'étude, explique que cette chaleur emmagasinée dans la journée sera encore plus importante avec l'augmentation du dioxyde de carbone. Ainsi, si les taux de CO2 continuent à augmenter, "les zones urbaines vont se réchauffer plus vite que les zones rurales", écrivent les scientifiques. Selon leurs prévisions, en 2050, les températures diurnes pourraient avoir gagné 2,7 °C. Les températures noctures grimperont d'autant, sauf dans les régions connaissant un fort phénomène d'îlots de chaleur urbain, où les nuits pourraient gagner 5 °C. Le nombre de nuits chaudes, chaque année, devrait également augmenter.
LA MODÉLISATION DU FACTEUR URBAIN, "UN DÉFI ULTIME"
Dans quarante ans, près de 70 % de la population mondiale pourrait vivre en ville, ce qui fait dire aux scientifiques que le réchauffement des nuits pourrait avoir des conséquences importantes en terme de santé publique, en faisant augmenter de façon significative les décès liés à la chaleur. Des réflexions sont d'ailleurs en cours dans certaines grandes villes pour essayer de réduire l'effet de l'îlot de chaleur urbain : peindre les toits en blanc pour qu'ils réfléchissent davantage la chaleur, ou créer des toits végétalisés.
Mais de nombreuses questions limitent encore la fiabilité de la modélisation du facteur urbain sur le réchauffement des villes, prévient Stuart Gaffin, un scientifique associé à l'université de Columbia, interrogé par le New York Times. Peut-on par exemple évaluer la quantité de vent qu'un groupe de grands immeubles peuvent canaliser ou la quantité de chaleur qu'ils conservent sans prendre en compte l'ombre considérable qu'ils peuvent apporter ? Et comment calculer la quantité de chaleur transférée à la chaussée et aux bâtiments par la concentration d'êtres humains ? Ce qui lui fait dire que pour les climatologues qui cherchent à créer des modèles et faire des prévisions, "les villes sont le défi ultime".
Le Monde.fr