Il ne lui manque plus qu'une cape rouge et un maillot écussonné. À chaque épisode, on le voit plonger au milieu de la mêlée et affronter à mains nues une multitude de molosses menaçants. Lorsqu'il repart, le pitbull le plus teigneux ou le roquet le plus insupportable sont devenus doux comme des agneaux. On connaissait Superman et Batman, voici maintenant Cesar Millan, le dog whisperer (l'homme qui murmure à l'oreille des chiens), le héros de l'émission superpopulaire du même nom sur la chaîne National Geographic. "Il n'y a pas de chien que je ne puisse maîtriser", se vante-t-il au début de chaque épisode. Cesar Millan, 41 ans, est un "psychologue pour chiens" qui ne traite que les cas désespérés, les animaux agressifs, névrosés, capricieux, qui terrorisent ou tyrannisent leur maître. Et à Los Angeles, où il réside, ça ne manque pas.
Le scénario est toujours le même. Le très télégénique Millan sonne à la porte d'un foyer "à problèmes". "Comment puis-je vous aider ?" commence-t-il en décochant son sourire à 100 000 volts. Les maîtres lui détaillent alors les bizarreries de leur animal. Il y a le chien qui mord le facteur ou qui a peur du grille-pain, celui qui attaque la planche à repasser, un autre qui mâchouille des cailloux à longueur de journée ou qui refuse de quitter le canapé...
L'homme est le problème
Scott et sa femme, Patrice, ont recueilli JonBee, un jindo coréen. JonBee, dans le jargon de Cesar Millan, est un animal "zone rouge", un chien méchant qui attaque son maître. "Aidez-nous à dompter la bête", implore Scott. Il a déjà fait appel à deux dresseurs, dont l'un lui a conseillé l'euthanasie. Après avoir posé quelques questions, Cesar fait connaissance avec le fauve. "Le maître était un peu inquiet de me laisser venir tout seul ici, commente-t-il, avec un léger accent mexicain, face à la caméra. Pour vous dire la vérité, je suis plus à l'aise avec les chiens agressifs qu'avec ceux qui sont mal dans leur peau, qui ont peur ou qui paniquent."
JonBee s'approche, le renifle. Cesar lui passe une laisse, l'emmène dans le salon et essaie de le faire coucher. JonBee devient subitement enragé. Il saute dans tous les sens, arrache sa muselière, mord Cesar. Mais SuperMillan ne bouge pas. Imperturbable, il reste debout, la laisse en l'air, se contentant d'émettre de temps en temps son célèbre "chh" alors que le chien se déchaîne. La tension est à son comble. Jusqu'au moment où JonBee capitule et finit par s'allonger sur le côté, haletant comme un coureur de marathon. "Détends-toi", lui répète Cesar en lui tapotant le ventre. "Mon Dieu, c'est un miracle ! s'extasie Scott. Vous m'avez changé mon chien." Mais quand Scott essaie à son tour de le faire allonger, JonBee grogne. "Vous n'êtes pas sûr de vous, lui dit Millan. Voilà pourquoi vous êtes une cible."
Selon le psy des chiens, la plupart des problèmes canins proviennent de l'homme. Dans la meute à l'état sauvage, il y a une hiérarchie très stricte, avec un meneur unique auquel les autres membres se soumettent. Millan apprend donc au maître à devenir le chef et à imposer son autorité au chien. Bref, à lui ressembler. Ce n'est pas facile. Cesar, malgré sa silhouette carrée, se meut d'une manière fluide, presque dansante. Et, même avec dix crocs plantés dans le bras, ne se départ jamais de son calme olympien. Le plus spectaculaire pour le téléspectateur, c'est que justement le dog whisperer ne fait rien de spectaculaire. Il ne parle pas au chien, le touche à peine et, pourtant, il se fait obéir.
Exercice, discipline et affection
Cesar Millan n'a pas de formation de dresseur. Tout ce qu'il sait sur les chiens, il l'a appris en les observant dans la ferme de son grand-père au Mexique. En 1990, El Perrero, comme on l'a surnommé, passe illégalement la frontière, sans parler un mot d'anglais. Après une série de petits boulots, il lance un service de dressage. L'une de ses clientes est l'actrice Jada Pinkett, future épouse de l'acteur Will Smith. Il l'aide à dompter ses quatre rottweillers et, en remerciement, elle le présente à ses amis de Hollywood. Aujourd'hui, il traite les chiens divas de toutes les vedettes, d'Oprah Winfrey, l'animatrice de télé, à l'actrice Denise Richards, en passant par Nicolas Cage et le metteur en scène Ridley Scott. "Pour qu'un chien soit heureux, répète-t-il, il lui faut de l'exercice, de la discipline et de l'affection." En clair, faites-le courir, imposez-lui des règles claires et cajolez-le au bon moment. Pas très sorcier ?
Apparemment, si, pour les maîtres qui l'appellent au secours. Il suffit de regarder trois minutes de l'émission pour se convaincre que ce sont eux qui ont besoin d'un psy. Comment Cesar fait-il pour garder son sang-froid devant le couple qui a renoncé à dormir dans le même lit depuis des mois parce que son yorkshire ne le tolère pas ? Ou devant cette dame qui se plaint que son bichon maltais est agressif et lui pisse sur les pieds alors qu'elle vit dans un appartement où tout est rose, y compris le chien, qu'elle a teint ? Des fous, tous des fous ! Certains propriétaires manquent de jugeote, admet Millan, qui possède lui-même sept chiens. "Quand je suis arrivé aux États-Unis, j'ai vu des animaux qui avaient des vêtements, des jouets, pour qui on organisait des anniversaires... mais beaucoup étaient des épaves sur le plan émotionnel." Parce que trop "humanisés".
Son slogan, c'est "Je réhabilite les chiens et dresse les humains", mais à longueur d'épisodes il est bien souvent obligé de réhabiliter aussi les humains. Même s'il avoue que la psychologie de sa propre espèce lui donne bien du fil à retordre. Après la naissance de son premier fils, sa femme Illusion le plaque : Cesar est macho, autoritaire, la délaisse... À contrecoeur, il finit par l'accompagner chez une conseillère matrimoniale. "Votre femme veut de l'affection, qu'on lui parle, qu'on s'intéresse à elle", lui explique-t-elle. "Elle est comme les chiens !" s'exclame alors Cesar. Mais apparemment Illusion est un spécimen canin particulièrement coriace puisque même lui n'a pas réussi à la dompter. Les Millan viennent d'annoncer leur divorce.
Un business florissant
Ses méthodes ne font pas l'unanimité. Parce que vous ne vous en doutiez peut-être pas, mais chez les dresseurs de chiens comme chez les thérapeutes il y a des écoles rivales. Les techniques de Millan sont "inhumaines, rétrogrades et inadaptées", écrit l'American Humane Association, une organisation de défense des animaux. La soumission-domination prônée par Cesar Millan fait bondir les "positivistes". "Cela augmente la peur et l'agressivité chez les chiens, juge Mychelle Blake, porte-parole de l'Association des dresseurs. La preuve, c'est que Cesar se fait beaucoup mordre, alors que moi, cela a dû m'arriver trois fois en dix ans. Il faut au contraire construire la relation avec le chien, utiliser la motivation avec des récompenses et ne jamais le punir physiquement."
La polémique n'empêche pas la Cesar Millan Inc. de prospérer. Millan est devenu citoyen américain l'an dernier, a écrit quatre best-sellers, lancé un magazine, créé sa propre ligne de produits, du jouet au biscuit, et organise des séminaires de formation à 3 000 dollars le week-end. Il a aussi ouvert le Dog Psychology Center, une propriété à Los Angeles où il traite les cas les plus difficiles. D'ici à quelques années, estime-t-on, son empire devrait peser 100 millions de dollars.
Il est non seulement devenu une star, mais presque un gourou. Il y a des gens, raconte-t-il, qui le supplient de "réhabiliter" leur fils ou leur mari... À quand le husband whisperer ou le kid whisperer ?